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HAVRES
Mary Gallagher :
Je n’y étais pas
mais je sais Kawe:note [1]
je sais ce qui s’est passé Tiohtià:ke [2]
Je n’y étais pas
mais je sais
Mais je sais,
moi, Mary Gallagher Ní raibh mé féin ann
Je n’y étais pas ach tá a fhios agam é
mais je sais tusa, Máire Ní Ghuagáin
bean
ag Dalhousie agus William
tá a fhios agam cad a tharla [3]
L’enrocheur :
Je suis d’ici comme le passant
au fin bout du parc de la Cité-du-Havre
debout sur cet obélisque couché
qui pointe vers les arrivées
Moi, je suis l’enrocheur
et j’imagine les dates anciennes
depuis mon 21e siècle
et cette Cité des âges âpres
des hommes, de leur Terre
Sur cette pointe qui flotte sans attaches naturelles
la Cité du Havre s’éternise en péninsule étroite
1,75 million de mètres cubes de terre
prothèse du quai de Garde et de la Jetée Mackay
de l’Ilot Normandin aussi, peut-être
et sa voisine confond ses îles en une
Sainte-Hélène avale les iles Ronde et Verte
et Moffat a engraissé jusqu’à se faire Notre-Dame
tout cela pour exposer universellement
Montréal dans des sites traités au Botox
résidus terriens du métro de 1966
J’enrobe ici la pierraille de gaines métalliques
pour en prévenir la dérobée
je suis le réparateur des terres jetées
veilleur des soutènements du lieu
sur cette île-aiguillon
d’abord créé pour éviter
les débâcles du printemps
quand les glaces savaient
lancer assaut aux murs âgés
de la vieille ville trop confiante en son fleuve
Car la langue de terre ne le fut pas toujours…
L’arrivant :
J’aurais pleine mer dérivé
Sous le soleil ample et la coupe du vent…
L’enrocheur :
…rien ne se dressait d’abord à l’obstacle
et les navires d’antan misèrent sur la pleine eau
L’arrivant :
Entré par la large bouche du fleuve…
L’enrocheur :
…évitèrent rapides et cavalcades frivoles
pour la mise en rade auprès de la butte
et passèrent là où n’était rien encore
L’arrivant :
…pour arriver ici jeté
avant rapides et eaux vives
avec, derrière moi à flotter aussi au-delà,
la plus grande part de Kaniatarowanenneh [4]
L’enrocheur :
Mais, moi, je porte la terre en terre
et l’inhume
L’arrivant :
En premier débarquement,
avant Cartier déjà, avant Caboto même,
j’ai touché terre
devant une île en sentinelle
en vigie d’une autre, plus grande
bombée d’une montagne au front de baleine
avec traces de passages fréquents
et d’échanges fructueux
Tiohtià:ke
The word we use to refer to Montreal is
Tiohtià:ke
Onon :ta’ [5]
Mountain? We say Onon:ta’
Kawe:note
Kaniatarowanenneh
Ska'nikòn:ra [6]
Ok, path! Ohaha’[7]
Or we could say : Ka'tá:ra
depending on what side of Kahnawàke
you are
So the first word is river:
Kaniatarowanenneh
L’arrivant :
M’accueillent d’abord
ceux du déjà-là qui se disent
Kahnien’kehà :ka [8]
Ils nomment ce lieu
Tiohtià:ke [9]
pied de la montagne Onon :ta’ [10]
là où le groupe se sépare
J’aurais pleine mer dérivé
J’ai exploré, comme et avec eux,
le tout de ce monde
trouvé chemins et rivières
crues et débâcles
pas plus riche qu’avant
autant sourd que de tout temps
tout est pour moi
partout
kawnnaka:ion [11]
vocables mats à la résonance vide
lancés à une chose qui ignore
habiter là et se reconnaître telle
J’ai beau parler le kahnien’keha’ [12]
Je n’y entends pas plus qu’avant
Kaniatarowanenneh
L’enrocheur :
Je ne suis pas le premier
à prendre emprise en cette terre
je vois d’ici l’ouverture du canal
construit pour aller outre Ville-Marie
Canal Lachine
Mary Gallagher :
Je n’y étais pas,
car les femmes n’ont pas leur place
en ces loges du Canal Lachine
encavées dans une tourbe en giclée
sous le pas des hommes qui la rabattent
au-delà, en cet été de 1844
Je n’y étais pas
mais je sais,
moi, Mary Gallagher
qui tiens commerce
au coin de Dalhousie et William An samhradh seo, 1844 [13]
je sais ce qui s’est passé
La peine est dure
à ceux qui dépendent du beau temps
pour ouvrir la terre
à l’eau d’un canal à venir
Par lui, on espère voir
tout l’intérieur du pays
se jeter à nos portes
nous irons d’écluse en écluse
porter marchandises et gens
et les rives briquetées s’orneront
d’industries vaillantes et prospères
Chonaic mé iad ag teacht den bhád[14]
tout un cordon de manufactures Monarchana agus ceardlanna[15]
et autres fabriques
où s’échineront travailleurs de l’âge du fer
de la tâche répétée à outrance
et des gages faméliques
œuvrant pour le rail du Grand Trunk,
dans l’acier et le charbon aussi
Nár aifrí Dia orm é ! [16]
Je les ai vus débarquer
des bateaux cercueils où s’entassaient
Corkonien et Connaught, tous unis
rescapés du typhus et arrivés par steamer
à la Ville-Marie Chonaic mé iad ag lorg lóistín dóibh féin[17]
Je les ai vus trouver logis
sur des terres qui leur sont loués
à raison d’une piastre par mois
en parcelles de 12 par 20 pieds
y bâtissant cabane
à l’aide de rugueux madriers
vendus par le locateur
Ainsi vont les jours,
entre le travail irrégulier, Arán bán, sail, tae, caife Nua Eabhrac,
le salaire remis en bons de singe, plúr arbhair, siúcra, tabac, gallúnach
les vivres achetés avec ce cent poirtéi [18]
aux seuls comptoirs de la même compagnie
et le logement sur lieux revenant à celle-ci,
Mais les journaliers firent enfin
un jour autre dont j’ai souvenance meurtrie Luan fuilteach [19]
bloc et coalition
quand les heures s’allongèrent
et les appointements se contractèrent
ils exigèrent juste rétribution
C’était le 12 juin 1843
Et en ce lundi rouge de réclamation justifiée
moururent 4 hommes
dont les noms languissent
dans les bas de page de l’histoire : Ceathrar fear marbh [20]
William Dowie, Miles Higgins, William Dowie, Míleas Ó hUiginn
Thomas McMannus, Bernard Gormley Tomás Mac Mánais, Bernard Gormley,
plus 2 inconnus, agus beirt eile nach raibh aon aithne orthu
passagers clandestins
d’un riot de coalisés,
ancêtres syndicalisés par la faim,
grévistes déjà, prolétaires sans le savoir
assemblés en face de l’Hôtel Grant
à Saint-Timothée
et seul le père John Falvey les pleura et signa
d’une croix compatissante et vaine
Dia m'fhinné [21]
Nár aifrí Dia orm é !
Je n’y étais pas
mais je sais
Je n’y étais pas
mais je sais
Je n’y étais pas
mais je sais
Je sais ce qui s’est passé
L’enrocheur :
ce matin tôt
j’ai imaginé la terre
fondre de partout
et régresser jusqu’aux eaux et même
jusqu’au glacier,
glisser dessous
comme un présage et un souvenir à la fois
dans une évolution glacée et inquiète
qui ne saurait plus à quelle extrémité du temps
se porte le futur
Notes:
[1] Île
[2] Montréal (aujourd’hui), là où le groupe fut brisé
[3] Tu n’y étais pas
mais tu sais,
toi, Mary Gallagher
qui tiens commerce
au coin de Dalhousie et William
tu sais ce qui s’est passé
[4] Fleuve Saint-Laurent
[5] Montagne, Mont-Royal
[6] Consensus, un seul esprit
[7] Sentier, chemin
[8] Peuple de la pierre à feu : dénomination que se donne la nation mohawk de la région de Montréal.
[9] Nom de Montréal pour les communautés de Kahnawà:ke et Kanehsatà:ke.
[10] Montagne, sein et lait : lieu empreint de qualités féminines et nourricières.
[11] Vocables plus ou moins oubliés, qui ne sont désormais plus d’un usage courant.
Selon Pierre Monette, Onon:ta’. Une histoire naturelle du mont Royal, Montréal, éditions du Boréal, 2012, p. 35. Les citations de la page précédente proviennent de la même source.
[12] Langue de la nation mohawk
[13] En cet été de 1844...
[14] Je les ai vus débarquer ...
[15] Manufacture
[16] Que Dieu ne se venge pas sur moi!
[17] Je les ai vus trouver logis...
[18] Pain brun, sel, thé, café de New York, farine d'avoine, sucre, tabac, savon, porter / bière
[19] Lundi rouge
[20] Quatre hommes morts
[21] Dieu m’est témoin!
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